Ou : comment mieux contourner les règles de l’appel d’offres (Bruno Ladsous)
Préalable : laissons ici de côté les opérations de crowfunding ayant parfois lieu en phase amont des projets, qui permettent à l’opérateur de financer les études d’impact ou la pose d’un mât. Disons simplement que par quelques centaines d’€ versés par des personnes ayant des économies à placer et qui ne sont pas les riverains, les opérateurs recherchent un accord des habitants. C’est un moyen habile de faire valoir en Préfecture que la population locale accepterait le projet.
Le financement participatif et citoyen figure depuis 2015 dans l’art. L 314-27 du code de l’énergie : Pour le mettre en œuvre, des élus amateurs d’éolien ont dans un 1er temps inventé des montages financiers incitant collectivités et citoyens à prendre des participations, par trois voies :
- projet appelé à être revendu à un tiers (fonds de pension) entrée au capital (un capital reconstitué) en phase amont du projet, avec une mise de fonds limitée.
- projet bâti sur un financement bancaire majoritaire acquisition d’une minorité de blocage (droits de vote) par montée directe limitée au capital, que complète l’inclusion de la collectivité dans la prise de garantie.
- projet bâti sur un financement sur fonds propres prise de participation 10 à 20%, et rémunération dès la 1ère année ; remboursement limité à 6 années.
Mi-2020, sous la pression de la Commission de régulation de l’Energie (CRE) et des associations, le ministère s’engage à généraliser la règle de l’appel d’offres. Seulement voilà : sous appel d’offres le prix moyen de vente du courant produit est de l’ordre de 62 €/ MWh, donc nettement moins rentable que les errements du passé, autrement dit le régime du complément de rémunération en « guichet ouvert » dont le prix moyen 2020 était de 91 €.
Aussi, fin 2020 sous la pression de la filière, le ministère décide de contourner la règle de l’appel d’offres en excluant de l’obligation d’appel d’offres les projets participatifs et citoyens de moins de 6 mâts et moins de 18 MW.
Cette exclusion présente en outre pour les opérateurs l’avantage d’enrôler des alliés parmi la population et se prévaloir d’un ancrage local : on achète des personnes qui parfois croient sincèrement que c’est bon pour la planète, mais qui surtout donnent ainsi aux opérateurs un alibi démocratique.
La petite partie des dividendes offerte par l’opérateur provient en réalité de la sur-rentabilité assurée par la combinaison des garanties de chiffre d’affaires données par l’Etat et des possibilités de recours à de très forts leviers d’endettement. Rien de démocratique.
Concrètement, le projet d’arrêté ministériel, qui au moment où est écrite cette libre opinion est bloqué au conseil supérieur de l’énergie (CSE), précise les types de montage comme suit :
Avec les précisions suivantes :
– les personnes physiques doivent fournir un justificatif de domicile attestant qu’elles résident dans le département d’implantation du projet ou dans les départements limitrophes.
L’on voit ainsi que les citoyens intéressés ne sont pas les riverains.
– il est entendu par fonds propres et quasi fonds propres les financements duquel on déduit la dette bancaire senior, les crédits relais-fonds propres n’étant pas considérés comme de la dette bancaire senior.
Bon à savoir :
Les 51% ne sont pas gênants, puisqu’au final rien n’interdit de remonter dans la maison-mère dans un format de type « peines et soins » une part majeure des dividendes, qui ainsi ne seront pas constatés.
Les collectivités ou la société coopérative citoyenne ne sont pas près de toucher des dividendes.
Paris vaut bien une messe, et conserver le bénéfice des 91 € vaut bien un passage par le chemin de traverse du participatif citoyen.
On a pu remarqué que sur un projet bien précis une manœuvre de type délit d’initié. La participation était promise avec un rendement de 6%. L’ouverture en ligne était un mardi à minuit et à cinq heure du matin tout était déjà acquis. Et ça m’étonnerait fort que les habitants du village en question et les riverains des villages autour se soient levé la nuit pour souscrire à ce truc foireux. Clairement une orchestration…
Excellente analyse.
On comprend d’ailleurs pourquoi ces précisions n’apparaissent jamais dans la presse. Elles seraient bien trop dérangeantes.
Merci à TNE/OE de les publier.
Françoise