L’ouvrage de Fabien Bouglé, Éoliennes la face noire de la transition énergétique, est un réquisitoire documenté contre le développement de l’éolien industriel, présenté partout comme la solution miracle à la crise climatique que nous traversons.
Tout d’abord l’auteur insiste sur la notion d’analyse du cycle de vie que l’on passe habituellement sous silence lorsqu’on présente ces dispositifs de production d’énergie comme écologiquement propres. Cette analyse, en prenant en compte les matières premières nécessaires, l’ensemble du processus d’extraction, de fabrication et de transport, ainsi que les problèmes de démantèlement et de recyclage, permet d’établir un bilan carbone global réel.
Les terres rares, utilisées pour les aimants, les matériaux composites qui constituent les pales, le béton que l’on retrouve principalement dans les socles, entraînent un coût écologique important tant à cause de leurs conditions d’exploitation et d’extraction que dans l’impossibilité de leur recyclage ; sans compter les conditions de travail, les problèmes de santé des riverains, la pollution induite que nous refusons chez nous.
Le deuxième point évoque le déni de démocratie qui s’est renforcé petit à petit au fil des pressions des promoteurs et des investisseurs, appuyés par les forces politiques favorables au développement de l’éolien industrielle. L’auteur en fait un symptôme grave de la crise de démocratie que traverse notre pays aujourd’hui.
Cela s’est traduit par une accumulation de décisions gouvernementales visant à libérer la voie pour les industriels, en supprimant ou en complexifiant les procédures qui permettaient aux citoyens de faire valoir leurs droits, en contradiction manifeste avec la Convention européenne d’Aarhus et la charte environnementale à valeur constitutionnelle en France qui prévoient l’une et l’autre que les citoyens doivent être associés aux discussions et aux décisions pour tout projet concernant leur environnement.
L’auteur ensuite évoque l’ensemble des nuisances que subissent les riverains ; il évoque à ce propos le nombre de recours important auxquels font face les différents projets, ce qui s’inscrit en faux contre le soi-disant accord unanime du public pour le développement de l’éolien industriel.
Une des explications de cet écart entre le refus des citoyens confrontés au projet et l’unanimité de façade de l’opinion publique réside peut-être dans la fracture radicale, rapidement soulignée par l’auteur, entre la sensibilité des territoires ruraux et la méconnaissance des enjeux des habitants des grandes métropoles. Cet élément mériterait d’être approfondi ; on peut reprocher à Fabien Bouclé de ne pas suffisamment traiter, cette question de justice environnementale , même s’il évoque, la notion de démocratie environnementale.
Il insiste aussi sur les problèmes de santé publique notamment autour de la question des nuisances sonores dues aux sons audibles et les nuisances sonores dues aux infrasons les plus pernicieuses. De nombreux travaux en France et au niveau international démontrent l’existence de véritables atteintes à la santé sous la forme du syndrome éolien que les autorités médicales en France en particulier refusent d’admettre.
Pourtant on le sait bien – un colloque récent vient de s’en faire l’écho – les nuisances sonores sont réelles, des procès sont en cours et l’auteur a bien raison de s’appesantir sur ce problème. S’il y a un doute sérieux, le principe constitutionnel de précaution devrait a minima être mobilisé.
Les menaces à la biodiversité en particulier les oiseaux et les chauve-souris constituent un point absolument majeur puisque la défense de la biodiversité face aux menaces d’extinction qui pèsent sur un certain nombre d’espèce est une priorité. Sur cette question l’auteur aurait dû beaucoup plus insister sur le scandale que représentent les demandes de dérogation, qui sont un permis légal d’attenter à l’habitat, aux lieux de chasse et de reproduction, à la vie même des rapaces, des migrateurs et des chauve-souris. Mais il souligne bien comment les coups portés au comité national de protection de la nature (CNPN) sont des encouragements aux atteintes à la biodiversité.
En conclusion de cette première partie, ce livre de Fabien Bouglé est une mine de renseignements, de chiffres, de références, même s’il faut rester attentif à la valeur des sources citées. L’auteur est un pédagogue efficace, lorsqu’il explique la fixation du prix de l’électricité par exemple. On y apprend beaucoup de choses et de nombreux mensonges sont dévoilés, entrer autres les promesses concernant le développement de l’emploi local ou du tourisme que les faits et les chiffres démentent.
Bien sûr on regrette quelques oublis ici ou là, on aurait aimé en savoir un petit peu plus sur le travail des associations et des collectifs locaux et régionaux, leurs propositions ou leurs revendications ; l’idée de moratoire est trop rapidement évoquée ; la question du financement participatif est absente alors qu’il est devenu un élément de marketing important dans la main des promoteurs.
La partie la plus intéressante du livre (qui nous laisse d’ailleurs sur notre faim) est celle consacrée à l’aspect économique et financier, parce que Fabien Bouglé déroule une démonstration convaincante : le principal moteur du développement massif des éoliennes industrielles est la recherche du profit, puisqu’elles sont écologiquement douteuses, économiquement coûteuses pour la collectivité, et finalement assez inefficaces à cause de leur intermittence, mais surtout inefficaces par rapport à leur objectif proclamé de réduction massive d’émission des gaz à effet de serre. Pour l’auteur, il s’agit aujourd’hui d’assurer une rentabilité maximale pour des grands groupes industriel et financiers.
C’est une industrie largement subventionnée puisque l’État garantit un prix quasiment double du marché pour les éoliennes terrestres, plus du triple pour les éoliennes marines et une priorité d’achat imposée à EDF ; les investisseurs bénéficient des certificats verts qu’ils peuvent revendre sur le marché des certificats carbone. En se basant sur un rapport de la Cour des Comptes d’avril 2018 et une délibération de la Commission de Régulation de l’Énergie de juillet 2018, l’auteur estime à 120 milliards sur 20 ans, les engagements financiers de l’État, soit 5 à 7 milliards d’aide aux investisseurs par an.
Cette manne financière, payée par les consommateurs et les contribuables, permet aux promoteurs et aux investisseurs d’arroser largement les communes et collectivités locales pour s’assurer de leur soutien, et de financer, parfois même de participer directement aux O.N.G. et aux instances parapubliques de soutien au développement des énergies renouvelables.
Un réseau d’influence et de soutien croisés se constitue ainsi autour d’un travail de lobbying intense menée par France énergies éolienne ou le Syndicat des énergies renouvelables qui peuvent s’appuyer sur des partis politiques, des parlementaires qui n’ont de cesse de leur faciliter le travail et des associations qui les relaient sur le terrain.
Plus que d’alliances, l’auteur parle de collusion.
Bien évidemment cet afflux d’argent entraîne conflits intérêt et corruption. Les conflits d’intérêts sont en France relativement faciles à prouver et donc les affaires se sont multipliées. La corruption est plus difficile à poursuivre mais il y a des cas avérés. Fabien Bouglé consacre son dernier chapitre à montrer comment en Europe dès la fin des années 2010, les alertes se sont multipliées pour signaler l’implication de groupes mafieux dans cette industrie vue l’importance des subventions européennes ou nationales. Nous apprenons aussi qu’existait le SCPC, service central de prévention de la corruption, qui permettait de centraliser les affaires de corruption et de conflit d’intérêt ; mais bizarrement en mars 2017, ce service qui coordonnait toutes les poursuites autour de l’implantation des éoliennes a été supprimé et tout le travail réalisé c’est donc perdu dans les sables.
Cette dimension économique financière est extrêmement importante ; l’auteur au début de son livre parle de capitalisme vert ; à suivre son raisonnement et son argumentation on ne peut que lui donner raison ; mais c’est sur ce point que nous aurions aimé que l’auteur se dévoile et révèle quelques pistes de résolution du problème.
En effet on se rend bien compte qu’au nom du développement durable et à travers leurs investissements dans les énergies renouvelables, les grands groupes financiers et industriels rentabilisent les angoisses et les craintes que le public éprouve légitimement concernant l’urgence climatique ou la nécessaire transition énergétique.
C’est bien un système basé sur la recherche du profit à n’importe quel prix qui est la cause de ce dévoiement. L’État, les pouvoirs publics, ont abandonné le secteur de l’énergie aux acteurs privés qui monopolisent l’air et le vent à leur profit sans se soucier des nuisances pour les citoyens, des dommages infligés aux territoires, à leur biodiversité et là leurs paysages.
La voie de la justice environnementale, le renforcement de la démocratie environnementale passent par un renversement de cette logique, par la reprise par les citoyens du contrôle de la production d’énergie.
Même si l’auteur exagère un peu en parlant de scandale mondial du siècle, les modalités du développement de cette énergie intermittente et non pilotable est une véritable escroquerie, une escroquerie majeure dont profitent un certain nombre de grands groupes capitaliste et qui est encouragée par une alliance curieuse entre élus écolos, pouvoirs publics, et certaines associations de défense de l’environnement.
Pour le citer « C’est là toute la contradiction de l’éolien qui, sous couvert de préservation de la planète, communiqué pour cacher le saccage environnemental de ces turbines tout en prétendant le contingenter ». Un livre important, à lire donc et à débattre…