Les promoteurs éoliens mettent « la pression » sur les propriétaires de Haute-Vienne

Dans le Populaire du Centre du 30 juillet 2019

Enjeu d’intérêt général, l’implantation des éoliennes en Haute-Vienne débute par le démarchage mené par les promoteurs. Une pratique encadrée mais qui se transforme parfois en jeu de poker menteur entre habitants, élus et industriels.

« Au départ, l’éolien, j’étais plutôt pour. » Propriétaire dans le sud de la Haute-Vienne, Michel n’a rien d’un écolo velléitaire. Mais sa rencontre avec les promoteurs éoliens, désireux d’implanter des éoliennes sur un de ses terrains, « l’a un peu refroidi », dit-il. Il leur reproche « la pression, leurs méthodes », assure-t-il. « Des méthodes de voyous. »

Parc de 6 éoliennes Lussac-les-Eglises
© Photo Aline Combrouze

L’histoire commence en « avril 2014 », se remémore le retraité. « Le promoteur est arrivé dans sa grosse voiture, comme un maquignon », décrit-il. « Il est venu avec une lettre qui expliquait l’intérêt des énergies renouvelables, leur nécessité, se souvient Michel. Franchement, j’étais d’accord. Il m’a expliqué que je pouvais avoir une compensation en argent. Il a étalé sa carte du cadastre, m’a lu vaguement le pré-bail. Il a en revanche bien insisté sur le chèque de 200 € qu’il pourrait me donner si je signais tout de suite. Mais un tel contrat ne se signe pas comme ça. » 

« Les promoteurs avancent masqués »

Au départ, il ne s’agit que d’un simple passage sur son terrain. Michel se renseigne, appelle la compagnie concernée. « Là où j’ai commencé à douter, c’est quand j’ai demandé à la personne qui me renseignait s’il y aurait une réunion d’information. J’ai perçu un silence très bref. Çam’a interpellé. » Finalement, un deuxième rendez-vous physique a lieu, deux mois après le premier. « Je voulais qu’on aille sur le terrain pour voir les particularités, les sources présentes, précise le propriétaire. Le chef de projet est venu très tard et c’est là qu’il m’a proposé une éolienne. »

Confronté à ce choix difficile, Michel demande un rendez-vous en mairie. « J’ai même demandé une concertation, mais personne ne m’a répondu, poursuit-il. J’ai finalement eu une rencontre avec un conseiller municipal. Et surprise : le chef de projet était présent. » L’entretien ne donnera rien. « En fait, les promoteurs avancent masqués, ils démarchent à bas bruit et une fois qu’ils ont ferré quelques propriétaires, ils peuvent avancer. » L’argument financier est un atout de poids : « Ils leur promettent entre 6 et 12.000 € de rente annuelle. Ça forme un bloc favorable, où les gens vont se transformer en adjoint du shérif. »

Les promoteurs promettent de l’emploi, des retombées fiscales et les élus locaux plongent sans réfléchir.

Les relations sociales entre voisins s’en ressentent. « Quand j’en ai parlé à la fête des voisins, ça a jeté un froid, explique Jean (prénom modifié), dont la maison récemment construite est située à 600 mètres d’un projet éolien. Ce qui complique tout et que je dénonce, c’est cette opacité. Certains propriétaires agricoles acceptent car ça leur rapporte de l’argent, mais la plupart ne vit pas sur place. Et les dommages collatéraux sont pour les autres. »

Alors que 130 à 200 éoliennes pourraient couvrir le territoire de la Haute-Vienne, dans les années qui viennent, selon un dossier que nous proposons dans l’édition papier du Populaire du Centre, ses pratiques ne constituent pas des cas isolés. « Je connais une mamie qui a signé, mais il faut comprendre, dans son champ, elle avait plus l’occasion de voir des cailloux que des billets de 10 », avance Michel. « Ils arrivent à harceler les gens, analyse Vincent Malige, coordinateur de l’association Robin de vents. Ils font la même chose avec les maires. Ils promettent de l’emploi, des retombées fiscales et les élus locaux plongent sans réfléchir. »

Maire de Chateauneuf-la-Forêt, Jean Bariaud le reconnaît sans ambages. « Comme toujours, on est à la recherche de financements et bien sûr, ça offre des retombées économiques. » Opposant déclaré au projet de cinq éoliennes encore au stade d’études sur cette commune de l’est de la Haute-Vienne, Clément Mathieu regrette cette prédominance financière. « En fait, nuance ce spécialiste de l’étude des sols, une éolienne, on voit bien ce que ça rapporte, mais moins ce que ça coûte. Et ça engage sur de longues années. On veut faire du fric avant d’avoir une réflexion intelligente. »

Nouvelle-Aquitaine : 1.000 emplois dans l’éolien

La question de l’emploi revient également fréquemment. « Alors que la plupart des emplois sont en Allemagne ou ailleurs », analyse Vincent Malige. Faux, rétorque Simon Grandcoin, délégué général adjoint de l’association France énergie éoliennes. « Entre les promoteurs, l’entretien, les bureaux d’études, l’éolien crée quatre emplois par jour en moyenne en France, décompte le lobbyiste. Aujourd’hui, en Nouvelle-Aquitaine, il y a 1.000 emplois dans cette filière. »

Vincent Malige, citoyen engagé, rêve du grand débat… sur l’éolien

Globalement, l’implantation des éoliennes souffre d’un manque de transparence. « Il y a beaucoup de méconnaissance, un perte de clarté et de communication, analyse Simon Grandcoin. Mais tout est affiché en mairie et quand on contacte 40 à 50 propriétaires, on ne peut pas dire qu’on le fait dans le dos des gens. » Mais parfois, les promoteurs jouent de ce manque de communication entre les élus et leur population, mais aussi entre leurs habitants eux-même. « Quand ils sont venus me voir, ils m’ont dit qu’un de nos voisins avaient déjà signé, explique Michel. On l’a appelé et évidemment, c’était faux. » Du poker menteur.

Une charte éthique et onze engagements

La procédure pour les promoteurs est pourtant claire : « Il faut d’abord qu’ils contactent la mairie, explique Simon Grandcoin. Puis, les propriétaires, l’administration et ensuite, seulement, on lance les études. C’est impossible de développer un projet si les propriétaires fonciers ne sont pas favorables. » « S’il y a des mauvais comportements, c’est un peu étrange, mais c’est aux promoteurs d’y faire attention. »

France énergie éolienne dispose également d’une « charte éthique », visible sur le site Internet de l’association, dont les membres représentent 9 éoliennes sur 10. Le document recense 11 engagements, parmi lesquels « la participation et la transparence » ou « l’information et la communication ». « Nous nous engageons à organiser, dès le début et tout au long du projet, une communication régulière auprès des élus locaux, des associations et des riverains concernés par nos projets éoliens », assurent les entreprises éoliennes. 

La concertation, elle se limite à savoir si on veut l’éolienne verte, rouge ou bleue. C’est totalement cosmétique. VINCENT MALIGE (Coordinateur de l’association Robin des Vents).

« Lors de la conception de tout nouveau projet, précise également la charte, nous réalisons en partenariat avec des experts indépendants une étude d’impact très détaillée portant sur le patrimoine naturel. Nous mettons ces résultats à disposition des parties prenantes du projet de parc éolien dans le cadre de l’enquête publique. » « Mais les enquêteurs publics sont défrayés par les promoteurs », croit savoir Michel.

Face à l’opposition – ou au scepticisme – de certains élus, les promoteurs se sont également adaptés, si l’on en croit Michel Chevallier, représentant de l’association ETHER qui oeuvre sur l’est du département. « Avant, raconte-t-il, ils allaient voir le maire, lui vanter les rentrées financières, qui compenseraient la baisse de la taxe d’habitation (…). Puis les élus votaient en Conseil municipal le libre accès qui autorise les promoteurs à démarcher les propriétaires. Forts de ça, ils ont toute latitude pour le faire. Mais comme des maires ont commencé à vouloir se renseigner avant d’aller plus loin, ils ont changé de stratégie. »

Les promoteurs démarchent désormais les propriétaires en priorité. « Et une fois qu’ils ont plusieurs accords, ils vont voir les élus, qui se retrouvent pieds et poings liés, souligne Michel Chevallier. Mais ils ne peuvent quasiment rien faire, c’est un bail privé… » L’attrait financier joue à plein, mais constitue parfois un miroir aux alouettes. « On promet aux propriétaires 6 à 9.000 €, explique le responsable d’ETHER. Pour un agriculteur, c’est intéressant. Mais il faut faire attention, avec les formules de révisions des prix, ça descend vite, à peine 1.000 €. »

« Il ne faut pas sacrifier la Haute-Viennepour des intérêts privés » 

C’est également la nature même des concertations qui est mise en cause. « Les photomontages qu’on nous montre sont totalement faux la plupart du temps, confie Michel. Ils minimisent l’impact visuel. » « Il y a toute une rhétorique qui se met en place, souligne Vincent Malige. On parle de concertation, de projets participatifs, d’adhésion des habitants, mais tout ça, c’est de la poudre aux yeux. La concertation, elle se limite à savoir si on veut l’éolienne verte, rouge ou bleue. C’est totalement cosmétique. » 

Comme dans tout sujet politique, tout est question d’intérêt général. « Pour atteindre 37 mégawatt en 2030, il y a un vrai cap à franchir, il faut aller vite », préconise Simon Grandcoin. « Nous, ce qu’on demande, c’est un moratoire, avance Vincent Malige. Il ne faut pas sacrifier la Haute-Vienne pour des intérêts privés. » 

Les projets éoliens mobilisent les habitants

Jean-Claude Leblois, le président du Département, demande lui aussi « une remise à plat rapide, sur l’efficacité, la rentabilité. Je ne suis pas un opposant systématique, mais il faut un dialogue. J’ai écrit une lettre au Préfet en ce sens et il est d’accord pour travailler de cette façon. » En 2017 et 2018, la Région a également lancé des « appels à projet participatif et citoyen », explique Françoise Coutant, vice-président en charge de la transition écologique. Une trentaine de collectifs ont été créés en Nouvelle-Aquitaine. C’est plutôt bien. L’objectif, c’est d’impliquer les citoyens. On n’est pas dans une démarche où on impose. On encourage au contraire les territoires à construire leur mix énergétique. »

Mais l’appel aux citoyens est une arme à double tranchant. En mars, la mairie de Champnétery a adressé un questionnaire aux foyers de la commune : 148 ont répondu dont 122 défavorables au projet éolien, soit 82,5 % d’opposants. Pour convaincre les propriétaires, l’argent peut aider. Mais pour convaincre tous les citoyens, la tâche s’annonce plus ardue.

Sébastien Dubois


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