Le Conseil d’État souffle le chaud et le froid

À quelques heures d’intervalle deux décisions apparemment contradictoires viennent d’être prises par le Conseil d’Etat. Tentons de rechercher la logique qui guide nos éminents conseillers – dont la fonction, on le sait, a été créée par Napoléon pour la défense juridique de l’État et de ses décisions. Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui, mais on voit bien les tiraillements qui s’exercent pour la défense des différentes politiques publiques.

Dans le cas de la microcentrale hydroélectrique dite d’Ambres-Fonteneau à Lavaur (Tarn), la « présomption d’intérêt public majeur pour les projets de production d’énergie d’origine renouvelable » a été balayée par l’affirmation de la « conservation d’espèces protégées et de leurs habitats« , appuyée sur les articles 411-1 et 411-2 du code de l’environnement.
Une belle victoire pour France Nature Environnement Midi-Pyrénées, dont plusieurs de nos associations sont adhérentes et qui agit avec nous dans le recours contentieux contre le projet éolien d’Arnac sur Dourdou (Aveyron) au même motif de défense des espèces protégées et de leurs habitats. 

Cette décision du Conseil d’État est importante pour nous qui vivons en Occitanie. Elle s’appuie sur le fait que ce projet n’était pas de nature à  « modifier sensiblement en faveur des énergies renouvelablesl’équilibre entre les différentes sources d’énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national« .

C’est la première fois que le Conseil d’État écarte la raison impérative d’intérêt public majeur concernant un projet de production d’EnR. Ceci devrait nous permettre de lutter plus efficacement contre les projets d’EnR néfastes, encore trop nombreux sur le territoire. Cependant la décision n’implique pas la destruction de la microcentrale. 

A l’inverse, la forêt de Lanouée (Morbihan), sa biodiversité et ses services écosystémiques, si précieux face aux changements climatiques, seront sacrifiées pour y installer une centrale éolienne : des kilomètres de pistes et terre-pleins qui viendront fragmenter le territoire, induire des collisions avec les animaux sauvages, favoriser l’extension de plantes invasives, artificialiser plusieurs hectares, et quelques 17 éoliennes (51MW) qui perturberont la faune volante quand elles ne la détruiront pas…

Cette forêt, l’une des plus vastes de Bretagne, abrite une soixantaines d’espèces d’oiseaux, dont certaines rares et protégées : Autour des palombes, Busard Saint-Martin, Engoulevent d’Europe, Pic noir, Pic cendré, Pouillot siffleur, Fauvette pitchou, etc.

Cette décision du Conseil d’État est impitoyable pour des régions comme la Bretagne, où la production électrique est faible : là-bas, la politique énergétique prévaut sur la protection de l’environnement, au grand avantage de l’éolien industriel encore et toujours « sûr de lui et dominateur« .

Le Conseil d’État s’appuie ici sur deux arguments :
1. le pacte électrique Etat-Région-ADEME-RTE-ANAH signé pour développer les EnR en Bretagne
2. la ZNIEFF type II de la forêt de Lanouée, emplacement prévu pour la centrale éolienne, n’est pas un espace classé ni protégé. 

Nous devrons interpeler nos élus et les candidats aux régionales sur ces points 1. et 2. Nous ne sommes pas à l’abri d’un « pacte électrique » en Occitanie, que préfigure le funeste scénario REPOS, et la majorité de nos espaces naturels, y compris dans les parcs du même nom, ne bénéficient pas aujourd’hui d’un statut protecteur. Sur ce dernier point, il faudrait exiger que des décisions soient rapidement prises pour renforcer la protection des espaces naturels, comme le prévoit la loi reconquête de la biodiversité. 

3 réflexions au sujet de “Le Conseil d’État souffle le chaud et le froid”

  1. Y a t-il vraiment de quoi se réjouir de la décision du Conseil d’Etat d’interdire la microcentrale hydroélectrique de Lavaur (Tarn) ?
    Le CE interdit une énergie renouvelable non-intermittente (au fil de l’eau d’ailleurs) et pilotable à la demande de FNE qui focalise sur « la continuité écologique des cours d’eau …. 60.000 barrages, écluses, anciens moulins entravent la circulation des poissons et des sédiments » et dénonce l’énergie hydraulique en ignorant l’éolien industriel terrestre et offshore, les hectares de photovoltaïques au sol (à quelques exceptions près de leurs associations locales).
    La micro-hydraulique est une des EnR qui perturbe le moins les paysages, les biotopes et les migrations (les passes à poissons). C’est aussi un mode de production d’EnR en croissance.
    Pour + de renseignements sur la micro-hydraulique, il serait utile de contacter Jean-Pierre MIE 06 21 78 29 76 qui anime la défense de cette production électrique.

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  2. Jean a complètement raison.
    Mais le fonctionnement de la justice n’a rien à voir avec la réalité.
    Il s’est agi surtout de réfuter un « moyen » (ou argument, si on préfère) utilisé par l’opérateur pour faire passer son projet, à savoir l’intérêt public majeur. Ça n’a rien à voir avec la réalité du projet lui-même. Dorénavant, en théorie, on ne devrait plus pouvoir utiliser ce moyen. Attendons de voir, car le cas du projet de Ferrières-Poussarou, actuellement en instruction au Conseil d’Etat est similaire. Je croise les doigts.
    Marcel Caron

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  3. Ces décisions contradictoires du Conseil d’Etat laissent la porte ouverte à toutes les interprétations locales, même si je crois comprendre à la lecture des arrêts que le critère (laissé à l’appréciation des tribunaux administratifs ou d’appel) serait la production électrique « renouvelable » du territoire concerné pour apprécier l’intérêt public majeur. Danger donc car avec le pouvoir donné aux Régions de fixer des quotas de production renouvelable on risque de se retrouver systématiquement ou souvent confronté à cette problématique où la politique énergétique prévaut sur la protection de l’environnement, car comme le dit Dominique, nous ne sommes pas à l’abri d’un “pacte électrique” en Occitanie, que préfigure le funeste scénario REPOS. Vigilance accrue donc ! Et affutons les arguments locaux pour réfuter ce prétendu intérêt public.

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