La saga des résistants et des vendeurs de vent

Histoire d’une fracture rurale..

À Bourièges dans l’Aude, les porteurs du projet d’implantation d’éoliennes ont asséné très rapidement que l’on ne pouvait être contre un projet qui allait « rapporter » à la commune et qu’il fallait choisir entre l’éolien et le nucléaire…l’un devant exclure l’autre. On voit aujourd’hui ce qu’il en est…

L’enjeu était sans doute exorbitant pour qu’en lieu et place d’un débat, un maire puisse dire à ses administrés : « vous êtes contre, nous sommes pour, nous n’avons plus rien à nous dire ».
Que devions-nous entendre ? Que la démocratie ne faisait pas partie de son vocabulaire ? Ou que dans les enjeux, il y en avait de plus intimes qu’un débat aurait pu dévoiler ?

L’histoire nous a prouvé que les deux cases étaient à cocher.

Et puis le clivage s’est accentué 

On était à la fois les étrangers, les intellectuels et les nantis ! Qu’il soit alimenté par un élu qui était l’un des plus gros propriétaires fonciers de la commune aurait dû rendre l’argument risible : il n’en fut rien et c’est à partir de ce moment-là sans doute que plutôt que de tenter de réfuter les arguments de l’autre, il était plus facile et confortable d’en faire un ennemi, rejetant ainsi en bloc personnes et discours.

Dans un tel désordre d’émotions et de raisonnements, on est en droit de supposer que l’éolien vient peut-être réactiver d’autres questions laissées en suspens ou cristalliser bien d’autres rejets historiquement ancrés dans le territoire : 

  • les Audois qui sont restés et ceux qui sont partis ;
  • les enjeux des uns et des autres comme lieux de confrontation idéologiques et de revendication territoriale ;
  • ceux qui étaient restés et qui se sont sentis envahis par de nouveaux arrivants, à qui pourtant ils ont vendu leurs biens, mais aux pratiques agricoles différentes…

L’éolien comme révélateur de conceptions différentes du bien vivre ensemble dans la ruralité

Dans ce contexte, il y a comme un paradoxe : comment à la fois revendiquer un certain droit historique d’appartenance compréhensible à un territoire et accepter qu’il soit détruit par des promoteurs qui ont si peu de respect pour les gens, la terre et la nature ?

Ils ont choisi un emblème voyant et industriel de modernité pour contrebalancer des années d’errance politique sans réels projets ambitieux pour ce pays.

Comme si l’harmonie des paysages audois n’était pas le fruit du travail ancestral de plusieurs générations ; comme si ça n’était pas un bien précieux ; comme si le paysagicide devenait un enjeu de revendication territoriale mortifère. 

Ils ont vendu ce territoire qui, pour certains, ne rapporte plus rien !

Fêlure démocratique…

Le croiriez-vous : malgré l’avis défavorable de la commission patrimoine, de la majorité des citoyens, malgré l’avis négatif du commissaire enquêteur lui-même soulignant les lacunes et incohérences du projet déposé, le préfet, au mépris des avis sollicités et exprimés a quand même accordé le permis de construire. Comment la République peut-elle pervertir ses propres strates administratives et imaginer qu’elle en sortira indemne ?

La fracture se situe là et les élus complices des constructeurs sont pleinement responsables.

Et c’est une fracture dans la ruralité dont les ventilateurs géants sont les emblèmes. Ils déchirent le paysage au quotidien et favorisent une mutation de la carte des territoires sans que les résidents que nous sommes soient écoutés, mais envahis, colonisés. La démocratie et la République sont bafouées par ceux mêmes qui en sont les représentants.

Cette allégeance préfigure assez justement des rapports entre les constructeurs et des élus serviles et augure mal de l’avenir où l’argent seul prime face à la démocratie ou/et à l’humain.

Et puis le Conseil départemental a décidé que nos propriétés privées devenaient les siennes en élargissant les voies d’accès pour laisser passer des convois… illégaux jusque là ! Les constructeurs ont gagné grâce à la complicité des élus de notre propre territoire. Nous avons vécu cela comme une trahison …et ça en était une !

Aujourd’hui, nous les avons… depuis, les nuits n’ont plus jamais été les mêmes…. nous n’avons plus droit à la voie Lactée… la pollution lumineuse fait partie des autres pollutions…

Dans une véritable politique de territoire, bénéfices et pertes doivent être évalués avant toute décision. Comment aussi peu d’élus se sont intéressés aux véritables « coûts » de la fracture rurale ? Ces « coups » que ce village, comme beaucoup de ceux impactés par ces machines vont mettre des années à cicatriser….

Quel avenir pour ce territoire ? C’est la véritable question à laquelle en tant que citoyens et habitants, nous souhaiterions répondre avec nos élus comme délégués et non pas comme autocrates !

Le nouveau maire faisait partie des anti-éoliens !

La démocratie et la justice demeurent les seuls outils à notre disposition même s’ils sont imparfaits. Que nos combats citoyens les rendent meilleurs ! Il nous faut porter plainte contre les maires qui décident de projet éolien sans l’assentiment majoritaire des habitants de leur commune. Il nous faut travailler à la création d’une loi anti-bâillon telle qu’elle existe au Canada et qui donne la possibilité à tout citoyen de se défendre dans une équité judiciaire.  

Il s’agit d’acter nos convictions en refusant de voter pour des élus qui ne sont plus dans la démocratie représentative et encore moins dans la démocratie participative. En recevant 1 voix, un élu ne reçoit pas un blanc-seing : il reçoit 1 mandat dont il doit rendre compte.

Il nous faut porter plainte au niveau national et européen contre les atteintes à notre qualité de vie dont les pollutions acoustiques et lumineuses font partie.

L’éolien devient la vitrine des perversions des strates administratives de la République.
Dénonçons-les, tout en demandant un moratoire sur l’éolien industriel.
La perte d’une bataille n’est pas celle de la guerre.
Elle offre néanmoins l’opportunité de réajuster les stratégies.

Agnès Roy – mai 2022

3 réflexions au sujet de “La saga des résistants et des vendeurs de vent”

  1. Un constat terrible que nous partageons, ici avec la centrale du Sambres et ses “petites soeurs ” qui se multiplient tout autour. Les derniers projets en date ont été rejetés par le Préfet de l’Aude pour les Martys et du Tarn pour Arfons. OSTWIND a déposé un recours contre la décision de rejet, nous saurons bientôt ce qu’il en est pour Arfons. Plus que jamais il est nécessaire de rester mobilisés car tant la Commission européenne que le nouveau gouvernement vont tenter de présenter l’éolien comme “indispensable à la transition énergétique nécessaire”. La bataille se joue aussi et souvent essentiellement sur le terrain local. Chaque commune qui ne souhaite pas d’éolienne doit l’inscrire dans un PLU, il faut agir auprès des élus pour cela.

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  2. Bonjour , nous en avions déjà discuté avec Patrice Lucchini et Gilbert Dargegen: c’est le maire d’une commune qui a la clé de la serrure qui ouvre sur le parc éolien. Pourquoi ?
    Parce que dans la loi française il est prévu qu’il dispose de

    ” la libre administration de son mandat”

    à partir du moment où il a eu le soutien de son conseil municipal lors d’une séance de réunion officielle.
    Quel est l’acte qui fait tourner la clé dans la serrure ?
    La signature d’une promesse de bail puis d’un bail emphytéotique avec le promoteur éolien. Cette promesse est inscrite à l’ordre du jour d’un banal conseil municipal, entre deux autres points ordinaires.
    Quand le conseil a statué et qu’il a donné une majorité de “oui”, l’affaire est pliée et les citoyens n’ont plus rien à dire puisqu ‘ils ont délégué par leur vote l’administration de leur commune au conseil et au maire, élu, je le rappelle certes comme conseiller par les citoyens au suffrage universel, mais ensuite élu maire seulement par les conseillers.

    Ainsi, le principal travail d’un maire qui veut faire passer un projet est de convaincre une majorité de conseillers car il va être soumis à leur vote.
    Le principal travail des opposants à un projet est de faire pression sur les conseillers afin qu’ils ne suivent pas les injonctions du maire.
    Le jour du conseil se révèle comme l’aboutissement des tractations et des discussions entre les différentes parties.

    Un conseil municipal est libre d’accès à n’importe quel citoyen, même s’il n’est pas de la commune. Par contre il y a des règles strictes. Un observateur ne peut y prendre la parole, à moins que le maire qui préside le conseil l’y autorise. S’il y a trop de ” désordre” le maire peut ordonner la suspension du conseil et surtout le huis clos.

    Donc les opposants à un projet doivent être présents dans la salle du conseil, en respectant les règles pour éviter la suspension ou le fameux huis clos, pour montrer aux conseillers avec qui ils ont eu des discussions qu’ils observent leur vote et qu’ils en tireront toutes les conséquences.

    Or il se trouve que très peu de citoyens assistent aux conseils municipaux. Il se trouve que la plupart des projets éoliens ont débuté par une simple promesse de bail votée par le conseil durant une anodine séance sans qu’aucun citoyen ne se trouve là pour simplement constater les faits. Pour le cas de Bourièges qui nous intéresse ici, il serait intéressant de refaire cet historique de l’ acte de départ. Pour ce qui concerne nos Corbières, c’est ainsi que cela s’est passé. Les 4 communes concernées par un projet de parc éolien commun ont toutes entériné la promesse de bail lors d’un conseil en soirée vers la fin août, début septembre 2015, quand il fait encore bien chaud dehors et que tout le monde se prélasse et déguste son petit rosé bien frais.

    Car, une fois que ce bail est promis, puis signé, une fois que la chevillette a été tirée et que la bobinette a cherré c’est TERMINÉ … La mairie est littéralement dessaisie du dossier et ne maîtrise plus rien.
    La décision de poursuite du projet est laissée à l’appréciation des services de l’ État et de la préfecture, qui peut être contestée par les promoteurs par voie judiciaire, chacun connaît la spirale infernale des recours, procès et attente fébrile des décisions venues d’en haut, selon le vent politique qui souffle au moment des affaires, pour rester dans le thème de l’éolien.

    Dans ce système dit démocratique, on s’aperçoit donc que le citoyen n’a pratiquement aucun pouvoir, si ce n’est celui de faire pression sur les élus avant qu’ils ne votent au conseil sans avoir la garantie que ces pressions seront efficaces.

    Il est donc urgent se s’interroger sur la réforme de cette “libre administration du mandat du maire”, bien connue des promoteurs et avec laquelle ils jouent, en la conservant bien sûr pour les actions d’urgence qu’un maire doit prendre en cas de menaces sur sa commune ( incendies, inondations, salubrité etc ) mais en la supprimant pour tous les projets impactant d’une manière important et durable la vie quotidienne des administrés, comme c’est le cas avec un parc éolien.

    merci de votre attention bonne journée à toutes et tous

    Thierry Farion pour CCCV ( collectif citoyen pour des Corbières vivantes) Aude.

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  3. Oui.On peut ajouter que les conseiller(e)s ont été choisi(e)s par le maire lors de la constitution de sa liste, et qu’il leur est difficile dans ces conditions de s’opposer à lui, à moins d’un scrutin secret.C’est ainsi que le conseil est la plupart du temps une chambre d’enregistrement, ce qui explique qu’il y a peu d’intérêt à y assister, sauf pour obtenir des informations.Et encore: souvent les débats se font à voix basse, presque inaudibles, et au vu de documents inaccessibles au public. De plus les compte-rendu sont souvent”succincts” parfois il n’y en a pas. Vive la Démocratie directe ! ,une forme existe dans la Constitution, avec l’article 11 ( cf. le SPQR de la république romaine), qui devrait être instituée à l’échelon local , ne serait-ce que si une liste qui la mettrait dans son programme serait élue.

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