Madame Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement a publié dans le Monde du 4 août 2022, une tribune intitulée « Le pari sur le nucléaire nous expose à une pénurie d’électricité ». Plutôt que d’investir dans le nucléaire, inadapté au changement climatique, il faudrait combler notre retard dans les énergies renouvelables.
Nous publions la lettre ouverte que Jean Pougnet lui adresse.
À madame Corinne Lepage
Votre tribune intitulée « Le pari sur le nucléaire nous expose à une pénurie d’électricité » publiée dans Le Monde du 4 août, illustre une fois de plus le discours des spécialistes qui n’envisagent aucun changement de société juste une évolution des moyens pour produire l’énergie dont elle a besoin pour survivre. Il rejoint en cela le discours des pro-nucléaires qui rêvent de nouvelles générations de réacteurs toujours plus performants.
La première phrase donne le ton : il s’agit de faire des choix fondés sur la rationalité écologique et la rationalité économique. Que sont ces rationalités ?
La première consiste à faire un effort massif de sobriété, ce qu’on ne peut qu’approuver, cependant vous associez cette sobriété de façon « naturelle » à la production d’ENR. Cette association naturelle n’a rien de rationnel, c’est un choix que vous devriez assumer en tant que tel.
Plus étonnant, vous vous félicitez que les ENR intermittentes associées avec la production d’hydrogène vert devraient permettre la production d’acier et d’ammoniac de façon massive. La sobriété et la conversion de l’agriculture ne semblent plus au programme.
Plus loin vous semblez plaider pour une décentralisation énergétique – là aussi une piste intéressante – mais vous voyez dans la croissance mondiale des ENR une traduction de cette logique.
Or c’est totalement faux, en témoigne les concentrations des constructeurs et des exploitants dans ce domaine. Pensez-vous que Total qui mise beaucoup sur le photovoltaïque est un apôtre de l’autoconsommation ? Croyez-vous qu’EDF au Mexique avec ses parcs éoliens géants, se préoccupe de l’autonomie énergétique des populations ?
En ce qui concerne la rationalité économique, la messe est dite dès le début : il s’agit de produire au moindre coût. C’est justement cette idée de produire au moindre coût qui est la tarte à la crème que se renvoient partisans et adversaires du nucléaire versus les ENR.
Pour que le nucléaire ne soit pas cher on a évité d’inclure dans ses coûts de production le traitement des déchets et les coûts de démantèlement des centrales (que personne ne peut chiffrer vu qu’on ne sait pas le faire) sans parler du prix de la sauvegarde de nos sources d’approvisionnement en uranium dans nos ex-colonies.
Pour que les ENR ne soient pas trop chères, on les a subventionnées et on les a faites fabriquer là où la main d’œuvre est corvéable à merci et, comme pour le nucléaire même si le problème est moins grave, on n’a pas chiffré le recyclage des déchets (en particulier pour l’éolien).
Le débat du coût est sans aucun intérêt. Il masque juste le fait qu’on ne veut pas sortir du système productiviste.
Là où ça va devenir amusant avec les changements climatiques qui combinent chez nous longues périodes anticycloniques sans vent, chaleur et sécheresse qui assèchent les cours d’eau, et donc des éoliennes et des centrales nucléaires en panne et des barrages à la peine, c’est de voir quelle nouvelle solution miracle les techniciens vont nous sortir.
Enfin et pour terminer, je voudrais connaître votre sentiment sur les projets gouvernementaux concernant les ENR, visant à affranchir les énergéticiens des contraintes environnementales dans le but d’accélérer les procédures de délivrance de permis de construire : ne pensez-vous pas que ce genre de loi d’exception censée ne s’appliquer que dans un périmètre précis et pour un temps déterminé ne peut, comme cela se passe très souvent, que se pérenniser et s’étendre au nom du fameux « intérêt public majeur » à d’autres domaines et mettre en péril toute défense de la biodiversité.