La transition énergétique : un leurre ?

Quelques notes autour du livre de Jean-Baptiste Fressoz, Sans transition, une nouvelle histoire de l’énergie (Seuil, Essais Écocène, 2024)

Le livre de Jean-Baptiste Fressoz, historien de l’énergie « Sans transition, une nouvelle historie de l’énergie » montre que dans l’histoire il n’y a pas eu de transition dans l’utilisation des sources d’énergie mais accumulation. « Les énergies primaires ont eu tendance à s’additionner plutôt qu’à se substituer ».  Le bois n’a pas remplacé l’eau, ni le charbon n’a remplacé le bois ; le pétrole – puis l’atome – sont venus s’ajouter à toutes ces sources d’énergie sans en exclure aucune. Il en est de même de l’ensemble des énergies renouvelables.

Dans le mix énergétique les proportions varient, mais la consommation absolue de chaque source énergétique augmente. « Les experts contemplent toujours avec réconfort le redressement de la courbe de diffusion de l’éolien et du solaire, comme s’il équivalait à la disparition des fossiles » alors que nous n’avons jamais produit et consommé autant de charbon, de gaz et de pétrole.

Il y a aussi une imbrication (une symbiose) forte et permanente entre l’histoire de l’énergie et l’histoire des matières. La dynamique matérielle de l’industrialisation doit être comprise comme « un processus d’amplification, d’expansion symbiotique de toutes les matières. » Aux États-Unis,  premier constructeur et consommateur de voitures, dans les années 1920, « il fallait environ une demi—tonne de charbon par mètre de route en béton. C’est ainsi que s’est nouée l’alliance fondamentale unissant financement public du réseau routier et moyens de transports privés, une symbiose entre charbon, acier et pétrole qui n’a fait que se renforcer au fur et à mesure de la dépendance à l’automobile. 

Un autre exemple est l’ensemble des liens entre le bois et le pétrole. Les derricks, au début, étaient en bois, comme les tonneaux pour le stocker et le transporter. Puis le pétrole a transformé toutes les chaines de la logistique et de la construction. La production de palettes, l’utilisation massive d’emballages en carton, l’introduction des panneaux de construction, mélange de bois et de plâtre ont boosté la production de bois et la déforestation. « Le paradoxe est que la sylviculture industrielle entretient l’idée du bois comme ressource renouvelable en ancrant toujours plus profondément sa production dans des pratiques agricoles et des matières (pétrole, gaz naturel et phosphore) non renouvelables ». « Les symbioses entre le bois et le pétrole ont joué un rôle central dans la croissance énergétique et économique mondiale au XX° siècle ».

Dès 1979-1982 les experts, climatologues, économistes, énergéticiens savent que c’est le scénario pessimiste (doublement de la teneur en CO2 en 2035 et +2° au milieu du XXI° siècle quelques soient les mesures de réduction des émissions) qui est en cours, ce qui entraîne une forme de résignation, en même temps qu’une croyance affirmée en la capacité d’adaptation des industries et des économies. 

C’est dans cet nouveau contexte que le GIEC va être créé en 1988. Il s’agit pour les gouvernements, Reagan ou Tatcher, contre les organismes internationaux et les ONG environnementales de définir des « objectifs atteignables et raisonnables ». Un mémo de la Maison Blanche précise en 1989 : « l’objectif n’est pas de protéger le climat. Il s’agit plutôt de protéger le bien-être économique des effets négatifs qui pourraient résulter des changements climatiques ». Tout au long des négociations climatiques « triomphent les engagements volontaires, les codes de bonne conduite, les tables verts, la responsabilité sociale et environnementale, et la transition n’est qu’un aspect de la logorrhée verte qui envahit alors le discours entrepreneurial ».

À partir des années 2000, sous la pression des scientifiques, des états insulaires et des ONG, le GIEC devient la « voix du climat », les objectifs deviennent plus ambitieux et l’on voit apparaitre des scénarios correspondant à une sortie rapide des fossiles. Mais pendant tout ce temps là, les émissions de carbone n’ont pas cessé de croître. Face à ce décalage entre objectifs et réalités, les modèles vont produire des scénarios de plus en plus irréalistes… une accumulation de perspectives rocambolesques et de projets de géo-ingénierie délirants dont le but est de noyer les questions liées à la sobriété ou à la décroissance. « C’est grâce à la transition puis à la capture du carbone que la question de la sobriété a été soigneusement ignorée par le GIEC pendant 30 ans »

Et ce n’est pas le bilan de la COP28 à Dubaï qui va changer la donne. Les grands groupes industriels comme Vinci ou Airbus vantent des solutions très hypothétiques, les routes vertes pour le premier, l’aviation soutenable pour le second. « Le ralliement de ces industries intrinsèquement polluantes à la bannière de la transition a au moins un mérite : celui de clarifier la fonction idéologique de cette notion. La transition énergétique est devenu le futur politiquement correct du monde industriel »

Le livre de Fressoz est un avertissement clair sur l’’énorme défi que représente la crise climatique qui « implique de réaliser par pure volonté, en un temps extraordinairement bref, une transformation sans précédent du monde matériel. »

Fressoz en décrit les contraintes de manière précise. Décarboner l’électricité sera difficile car malgré l’essor des renouvelables, les émissions du secteur électrique continuent de monter. Décarboner la production électrique n’est que la première étape, la plus facile : acier, ciment, plastique, engrais qui structurent notre monde resteront très difficiles à décarboner. Enfin les énergies renouvelables sont pris dans un écheveau de symbioses matérielles, pour leur fabrication, leur transport, et les effets rebonds qu’elles peuvent entraîner. « D’une manière générale, si les panneaux solaires et les éoliennes réduisent l’empreinte carbone de la production électrique, le problème est que cette électricité alimente un monde qui dans sa matérialité même repose et reposera encore longtemps sur du carbone ».

Pour fabriquer des batteries électriques, des éoliennes, du photovoltaïque – nécessaires à la « transition énergétique » – il faut du lithium, du cobalt, du cuivre, etc. Il faut donc produire des quantités immenses de métaux pour accompagner une demande en énergie tout aussi immense.

C’est cette transformation du mode de production qui sera un défi et une difficulté majeure. Comment imaginer un régime énergétique qui permette un niveau de consommation acceptable, le maintien d’une qualité de vie pour toutes et tous ?

Dominique Boury

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