3 juillet 2019. Le Conseil d’État invalide l’attribution et l’exploitation du projet d’éolien industriel en baie de Saint-Brieuc. Il donne raison à Gardez les Caps.
Sans surprise, le rapporteur public, maître des requêtes au Conseil d’État, a demandé le 3 juillet l’annulation des arrêtés permettant au consortium anglo-espagnol Ailes-Marines d’implanter et d’exploiter 62 éoliennes dans la baie de Saint-Brieuc.
Cette position était attendue.
En effet, d’une part, dans le cadre de l’appel d’offres éolien industriel en mer lancé par l’État en juillet 2011, le lot de Saint-Brieuc a été attribué le 6 avril 2012 au candidat arrivé second, le consortium Iberdrola-RES porté par Ailes Marines, une décision que la Cour des Comptes dénonçait dès son rapport de juillet 2013 sur la politique de développement des énergies renouvelables (p.66) « … le site de Saint-Brieuc a été attribué à la société Ailes Marines (…) alors que la société Éolien Maritime France (EMF) était mieux classée par la CRE (Commission de Régulation de l’Énergie). (…) Elle a abouti à privilégier un candidat en dépit d’un prix plus élevé que celui proposé par EMF. »
http://gardezlescaps.org/wp-content/uploads/2013/10/Cour_des_Comptes-Juillet2013.pdf
D’autre part, le 18 avril 2012, le Gouvernement publiait un arrêté autorisant Ailes Marines à exploiter une installation de production d’électricité dans la baie de Saint-Brieuc. Ce qui revient à signifier que l’autorisation administrative du 6 avril désigne à la fois le titulaire et lui attribue l’autorisation d’exploiter. Or, à ce stade, la mise en œuvre d’un parc d’éoliennes industrielles en baie de Saint-Brieuc était encore très hypothétique.
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Le rapporteur public du Conseil d’État a longuement détaillé ce télescopage des autorisations. « La mise en service du parc est très incertaine à cette étape. » (…) « l’attributaire peut obtenir l’autorisation d’exploiter comme il peut ne pas l’obtenir. Il n’est pas assuré de l’obtenir, il y a une période de levée de risques ».
Effectivement, à ce stade, le débat public n’a pas eu lieu, ni les études d’impact environnemental, ni les dérogations spéciales aux espèces et habitats protégés, ni l’enquête publique, autant d’étapes qui rendent incertaine l’obtention des autorisations administratives nécessaires à la réalisation d’un tel projet (Loi sur l’eau, Convention du domaine public maritime).
On comprend mieux comment le projet d’Ailes Marines a pu continuer à avancer, alors qu’il est situé en travers d’une zone de pêche artisanale dynamique (290 bateaux, 1000 emplois directs), gérée de manière raisonnée par le Comité des Pêches en liaison avec l’Ifremer, cerné de zones Natura 2000 en mer, la plus proche à 450 mètres, face à la plus grande réserve ornithologique de Bretagne, à 16 km des caps Fréhel et d’Erquy, classés et labellisés Grand Site de France.
Autre conséquence, l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité accordée à Ailes Marines le 18 avril 2012 est la mise en œuvre des mesures d’aide d’État que constituent les garanties de l’État relatives au contrat de rachat de la production électrique et aux autres conditions du projet. L’avocat du promoteur a d’ailleurs annoncé au rapporteur public que des « investissements », avaient été réalisés par Ailes Marines depuis 2012, à hauteur de 100 millions d’euros. Voilà bien une preuve de la mise en œuvre de l’aide dès le 19 avril 2012 puisque ce projet est, comme les autres projets éoliens en mer, dépendant de prêts bancaires !
Les aides d’État comportent deux branches, la notification et la proportionnalité. Le rapporteur public a rappelé qu’il n’appartient pas au Conseil d’État de se prononcer sur la proportionnalité de l’aide, et que la notification des aides d’État pour le projet de Saint-Brieuc avait été faite à la Commission européenne en avril 2017, soit « en temps utile ».
Mais, la notification « en temps utile » à la Commission européenne d’une aide envisagée par l’État, doit en tout état de cause intervenir avant la mise en œuvre de cette mesure d’aide. Notifier en avril 2017 des mesures d’aides mises en œuvre en avril 2012 ne respecte manifestement pas cette obligation.
En l’absence d’une décision d’approbation de la Commission européenne, la mise en œuvre de l’aide apportée au consortium Ailes Marines devrait être considérée comme illégale au regard du droit de l’Union européenne.
De ce point de vue, on notera qu’aucune approbation de la Commission européenne n’a encore été délivrée pour les six projets d’éolien en mer des appels d’offres français de 2011 et 2013.
Alors que la Commission européenne a déjà publié les décisions favorables aux quatre projets d’éolien flottant notifiés par la France en décembre 2018, ainsi que la décision pour Dunkerque (3ème appel d’offres éolien posé), adoptée le 10 décembre 2018 et rendue publique le 1er juillet 2019. Au point 53 de cette dernière décision, on lit que : « Les autorités françaises ont publié l’appel d’offres le 15 novembre 2018 mais n’ont pas encore désigné le lauréat [à la date du 10 décembre 2018]. L’aide notifiée n’a donc pas encore été octroyée. »
http://gardezlescaps.org/wp-content/uploads/2014/10/COM-dec-10-12-2018-SA.51061-Dunkerque.pdf
Ceci confirme que la désignation du lauréat, comme le fait l’arrêté d’autorisation d’exploitation du 18 avril 2012 pour Ailes Marines, constitue bien la mise en œuvre, ici illégale, de la mesure d’aide.