Deux articles du Monde du 14 mai abordent les problèmes du secteur des énergies renouvelables. Jean Pougnet, co-secrétaire du collectif TNE-Occitanie Environnement (Pougnet.jean@gmail.com) nous transmet ce commentaire. Les passages en italiques sont extraits des articles du Monde.
Alors que la crise liée au Covid-19 fait chuter la production d’énergie d’origine fossile, celles des renouvelables résiste et devrait continuer à croître en 2020.
La mise à l’arrêt des économies et notamment des transports (…) a largement ébranlé le secteur des énergies. A l’exception, au moins en partie, de celui des renouvelables.
Perrine Mouterde qui fait cette analyse semble ignorer qu’il y a peu d’aéroplanes qui fonctionnent à l’énergie solaire, que la marine marchande à voile a disparu et que les camions électriques sont très rares. Elle ne devrait pas s’étonner que le quasi arrêt des échanges commerciaux et touristiques plombe essentiellement la consommation d’énergie fossile.
Au premier trimestre, la production des énergies renouvelables a crû d’environ 3%. Depuis le confinement la Belgique, l’Italie, l’Allemagne, la Hongrie ou l’est des Etats Unis ont même connu un niveau record quant à la part des renouvelables dans leur production d’électricité, sans que cela provoque des difficultés en matière de réseaux.
Là aussi la journaliste semble ignorer que la production d’EnR ne dépend pas des pandémies, la maintenance des installations ne nécessitant que très peu de main d’œuvre, mais des puissances installées (en l’occurrence avant la crise) et des conditions météorologiques. Par contre elle a entendu parler des critiques soulevées quant au risque que fait peser l’intermittence de la production sur la fiabilité des réseaux mais elle la confond avec le risque d’une grosse production.
Vient ensuite la question que tout le monde se pose : les EnR ont fait face à la première vague mais qu’en est-il de l’avenir ? Là, les spécialistes s’inquiètent en particulier du fait que les nouvelles installations sont retardées ou compromises vu la désorganisation du commerce mondial.
Mais ces difficultés sont pour le court terme, tous les experts consultés sont d’accord, l’avenir est aux énergies renouvelables car on constate des améliorations spectaculaires dans la compétitivité-coût de l’énergie solaire et éolienne. Pourtant P Mouterde note plus haut que les faibles prix des énergies fossiles pourraient pousser des Etats à continuer de privilégier ces combustibles traditionnels. On ne sait plus à quel saint spéculateur se fier !
Après ce tableau mondial du problème de l’énergie vient un second article qui zoome sur la France sous le titre :
En France le secteur appelle à une accélération de la transition.
On a tendance à penser que le premier article n’était que la mise en situation du second.
Alors que la consommation électrique a baissé de 15 à 20% pendant le confinement, la part des énergies renouvelables dans le mix électrique a augmenté – elle a par exemple été de 35% en moyenne le 29 mars – en raison de la priorisation de ces sources d’énergie dans les réseaux et des bonnes conditions météorologiques. « Nous pouvons nous féliciter de la preuve grandeur nature que la stabilité du réseau électrique peut être garantie avec une part significative d’énergie renouvelable » salue Elisabeth Borne.
Tiens, la journaliste a entendu parler des conditions météo qu’elle omettait précédemment mais aussi pour la France de la priorisation qu’elle se garde bien d’expliquer. Hormis les spécialistes, qui comprend que si la consommation d’électricité baisse et que l’on conserve la priorisation, mécaniquement la part des EnR augmente ? Quant à la ministre, elle n’est pas exigeante pour vérifier et garantir la stabilité du réseau.
Mais on en arrive à l’objectif final.
Pour se donner une chance de rattraper le retard, les acteurs du secteur font pression afin que leurs propositions soient jugées encore plus prioritaires qu’avant la crise et intégrées aux plans de relance. Concernant l’éolien, la FEE (France Énergie Éolienne, porte parole de l’énergie éolienne) appelle à la levée de certaines contraintes (…) afin d’avoir une meilleure répartition des parcs sur le territoire et à respecter le rythme des appels d’offres et des délais d’instruction des dossiers.
La journaliste ne devait pas s’occuper d’EnR dans le monde d’avant sinon elle aurait su que les acteurs du secteur, comme elle les appelle, justifient depuis des lustres toutes leurs demandes de « levées des contraintes », qu’on devrait appeler contournement du droit, par « un retard qu’il faudrait combler ».
Or si retard il y a, c’est bien sur la sobriété énergétique et sur le respect des objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de la santé, que vient de rappeler le Conseil constitutionnel (Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020).
Cette invocation obsessionnelle du retard à combler fait penser à la même invocation pour la dette en économie libérale. Le plus amusant c’est que c’est justement l’absence de contraintes et la loi de la jungle qui règnent dans ce secteur, qui ont produit l’installation anarchique des centrales éoliennes sans planification ni réflexion à long terme.
On notera enfin qu’une journaliste a réussi à faire un dossier sur les énergies sans citer une fois la filière nucléaire, ce qui dans un « grand journal français » est une performance.
Post scriptum : l’absurdité du fonctionnement du marché de l’énergie en France est tel, que, alors qu’un producteur d’EnR voit sa production prioritairement mise sur le réseau et payée au-dessus du prix du marché, ce même producteur peut refuser la commande d’énergie d’origine nucléaire qu’il avait passée et ce pour cas de force majeure. C’est ce qu’a fait Total face à Edf (le jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 mai a donné raison à Total !)